
À l’horloge, il est onze heures. J’enlève les papiers qui n’ont rien à faire sur la table de travail. Je sors vite une toile, met le lutrin faisant office de chevalet et prépare les couleurs. Je change souvent tout de place. Je sais que je vais gagner de la vitesse. La locomotive lancée quelques obstacles permettent de se rapprocher d’un intercité . Ici, ce n’est que pour la photo. En vrai, c’est un peu plus dégagé. Il y a du monde que j’invite sur ma peinture. Se sont des vivants. De partout, sans distinction d’âge. Uniquement des femmes. Le seul homme a avoir droit de cité est le mien. Je n’ai aucun humour avec la mort, c’est souvent une danse sans fin pour l’encercler avant de la renvoyer d’un coup de talon aux enfers. Je refuse de la laisser gagner. Il faut des vivants en masse pour la contrer. La bulle à créer pour que rien ne nous sépare est immense. Je me dis souvent que – quand il faut se déplacer – l’atelier ressemble à une loge et qu’arriver à transporter l’âme de chez nous dans un autre lieu n’est pas gratuit. Beaucoup de peintres ont mués avec le numérique. La DV à peine saisie avant de servir au cinéma comme un second souffle de la nouvelle vague aurait après des années de tests trouvée son mode d’emploi par les artistes qui ont bien voulu travailler avec cet outil. Je me doute que la peinture paraît être un grain de poussière dans le système informatique. L’apparence est trompeuse. La peinture sert les artistes et ce qui peuple leur tête fait des rêves dans les chambres adolescentes, puis le séjour des adultes. Je n’ai pas lu Sam Shepard avant vingt ans et ne suis pas née américaine mais quand je l’ai connu par Wim Wenders et que je vis la collaboration avec Viggo Mortensen, je vis à quel point le monde est petit quand nous aimons les mêmes choses. Peut importe si la peinture semble disparaître, j’adore les arts plastiques et par cette matière très scolaire j’ai aimé beaucoup de métiers qu’elle a fait naître. Infographiste, architecte d’intérieur, scénographe, commissaire priseur tissant son fil d’Ariane en priant le secours de toutes les petites et grandes déesses qui ont motivé son dessein d’indépendance et de dignité humaine.
Rester à l’écart de l’oeil du cyclone quand démarre l’attraction terrestre à l’intérieur du corps devient Athéna guidant Ulysse de l’ancien au nouveau monde, Marie baignant l’enfant pour premier baptême, Daphné se transformant en arbre.
La transmission de femme à femme continue de voir le jour. J’ai été formée par un homme. La femme m’a fabriquée, l’homme m’a éduqué. Le contrat est rempli.