Jeudi 11 Avril 2019 – L’après – midi
Je suis dans le bus direction Versailles. Le cours commence dans moins d’une heure après deux semaines d’interruption. Notre professeur a dû être opéré. Nous n’avons reçu aucun message depuis. Je suis inquiète et refuse de parler à quiconque de cela. Je ne sais pas comment reprendre ce qui commençait à être enfin le fil qui rentre dans le chas de l’aiguille. Le conservatoire de Poissy m’avait aidé. Cette rupture avec les gens de la musique a donné un nouveau souffle par le dessin des bouteilles que j’avais prise en photo à Arles. Le dessin avançant étape par étape me laissait la voie pour une petite série sur les continents avec le visage de personnes que j’avais dessiné du temps des séances avec Kelsey. La deuxième en partie finie avec le visage du sinologue Antoine m’a fait réfléchir sur quel type de profil choisir. Est-ce qu’il fallait nécessairement qu’ils ressemblent au type du continent ? On peut aussi le voir comme une personne rêvant de conquête. Aujourd’hui, j’ai préparé une nouvelle toile pour le cours. La précédente n’a pas séduit. La dureté qui est passée sur la première s’est renforcée sur la deuxième faisant passer les couleurs pour le sens de la peinture. Cela m’a blessé. Je suis partie avec des mots chaleureux de notre professeur. Il n’avait pas l’air d’entendre la séparation entre ce que l’on voit et l’apparition. Je ne suis qu’élève mais c’est impossible pour moi. Je revenais des portes ouvertes de Penninghen dont je rêvais deux ans plus tôt et, ce qui a été un jour entre mes mains comme sujet d’étudiants et artistes en herbes s’est fait sentir. L’écriture sur le tableau n’avait pas de fond, je n’avais pas à cet instant écrit cette histoire pour me représenter qu’il devait exister une peinture. Cela était sans fondement. Je tentais de voir un geste amical pour m’aider à franchir le pas vers l’abstrait. Tout ce que je voulais ne pouvait venir de ce que j’avais écris avant. Le souvenir de l’homme qui avait organisé le stage sur la Shoah ne me plaisait pas à cet endroit, je le trouvais insultant. J’ai diminué ce que le cours n’apportait plus : la part de rêve. J’ai repensé à Myspace et mon nom en ligne Jane Doe et je réfléchissais en dessinant ma trousse de toilette. Trop long. J’ai badigeonné selon son conseil avec le gros splater, cela m’a rappelé Raoul Duffy sans savoir pourquoi. La perspective en cavalière cherchait à disparaître et cela m’énervait. Le sujet je l’avais en moi. L’identité perdue que j’ai eu après les pèlerinages et les changements de vie n’arrivaient plus à dire comme dans le poème quels sont les objets à emporter « au paradis », sur une « Île déserte ». Deux semaines après, je n’ai pas trouvé de réponses. Je l’ai recouverte de gesso, vois encore son dessin que je suis heureuse de ne pas avoir totalement effacé. Je veux en reprendre la composition. C’est une course que je ne retrouve pas. J’enchaîne une nouvelle toile, me dis que Pâques n’est pas assez partagée pour qu’encore une fois cela devienne une peinture. Alors l’arbre. L’amandier en fleurs me fait un sang au goût de vin. Ce n’est pas beau mais je sais comment le rendre beau. Ce qui me dérange c’est que ma perception n’est pas la même entre le professeur et moi l’élève. J’ai vu hier soir les tableaux de François Legrand. C’est curieux, on dit de la voix qu’elle ne change pas, surtout quand on l’entretient. On peut dire du regard la même chose. Le regard de ce peintre est mûr très jeune et a gardé de sa jeunesse beaucoup d’emportements qui ont fait avancer la forêt en nous.